PIERRE OZER

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La Sardaigne dans le vent [Cafés Géographiques]

La partie septentrionale de la Sardaigne, île méditerranéenne, a de tous temps été façonnée par les grands vents du mistral.

Les gigantesques dépôts d'éolianites [1] d'une puissance allant jusqu'à 50 mètres et formés durant le maximum de la dernière glaciation et de l'épisode de régression marine lié à cette phase (18 000 ans BP) sont la preuve tangible de la présence d'un vent très compétent du Nord-Ouest durant cette période.

Ailleurs, ce sont les taffonis [2] qui façonnent de très belle manière les granites roses ou blancs. Si ce phénomène est remarquable le long des côtes, il est également un indicateur de la force du vent lorsque ces taffonis se retrouvent jusqu'à 10 kilomètres à l'intérieur des terres.

Les dunes actuelles orientées NO-SE s'élevant sur une dizaine de mètres ainsi que de nombreux placages éoliens fixés par des pins parasol plantés par le « corpo forestale » (les eaux et forêts) sont d'autres exemples géomorphologiques de la forte activité éolienne.

Actuellement, c'est la végétation qui est modelée par le vent et qui présente de stupéfiants exemples d'anémomorphisme [3]. Les eucalyptus plantés en bord de mer et les chênes-lièges dans l'arrière-pays se retrouvent voûtés et rampent à proximité du sol.

Le potentiel éolien est donc important dans le nord de la Sardaigne. Tous les facteurs sont réunis pour favoriser l'implantation d'éoliennes : présence de vents réguliers, existence de larges espaces à faible densité de population, et accès aisé aux zones potentielles. A ce titre, l'Union Européenne (UE) considère la Sardaigne comme un site idéal pour le développement de ce type de production d'électricité et a décidé de financer leur construction. Les objectifs sont de contribuer à l'indépendance énergétique de l'UE et de réduire les émissions de combustibles fossiles, dans le cadre du respect des objectifs du Protocole de Kyoto [4].

Au cours de ces deux dernières années, de nombreux parcs éoliens ont vus le jour dans le nord de la Sardaigne. Par centaines, les éoliennes tournent dans le but de produire de l'énergie « verte ». L'initiative sarde devrait servir d'exemple à d'autres régions où le potentiel éolien est encore fortement sous-exploité. Mais ...

Dans le cadre de la Directive Européenne sur les certificats verts, les producteurs d'électricité verte bénéficient d'une prime calculée sur la réduction des émissions de CO2 par rapport à une centrale classique de puissance similaire. Les responsables politiques de la Région autonome de Sardaigne et de ses provinces du Nord ont vu la belle opportunité et un grand nombre de ces parcs éoliens ont rapidement été construits à partir de 2004. Cependant, lors des élections de mai 2005, une nouvelle coalition est arrivée au pouvoir et a rapidement décidé de stopper, sous la pression des Verdi (les Verts, parti écologiste italien), tous travaux relatifs aux parcs à éoliennes. Le syndrome NIMBY (Not In My Backyard , Pas Dans Mon Jardin) [5] faisait surface et les autorités sardes se sont rapidement prononcées contre une extension de l'éolien pour sauvegarder le paysage (Corriere della Sera, 6 juin 2005). Terrifiant et pathétique constat : beaucoup de ces spectaculaires parcs éoliens sardes ne produisent pas le moindre kilowatt ! L'image de ces hélices tournant en cadence sous l'effet du Mistral n'est qu'un leurre. Quel gâchis !

Terminons néanmoins sur une note d'espoir « contraint ». Il est en effet hautement probable que dans un avenir proche, sous la pression de l'augmentation des prix des produits pétroliers, le gouvernement italien « branchera la prise de l'électricité verte » et que la Sardaigne devienne le territoire modèle espéré.

[1] Eolianite : dépôts indurés d'origine éolienne.

[2] Taffoni : terme corse qui désigne des formes d'érosion développées dans les granites suite à l'altération liée à l'action des embruns.

[3] Anémomorphisme : désigne une forme irrégulière du développement d'une plante sous la contrainte d'un vent dominant fort, ceux-ci inhibant le développement des bourgeons les plus exposés.

[4] Protocole de Kyoto : engagement international, formalisé entre les pays industrialisés afin de réduire de 5,5 % les émissions de gaz à effet de serre de l'année 1990, durant la période 2008-2012.

[5] NIMBY (Not In My Backyard , Pas Dans Mon Jardin) : qualifie des discours et des pratiques d'opposition de plus en plus fréquentes : l'opposition de populations riveraines à l'implantation ou à l'extension d'une nouvelle installation. Dans ce cas, les parcs à éoliennes.

 

Dominique PERRIN, André OZER, Roger PAUL & Pierre OZER, 2006. Carte postale de Sardaigne. Cafés Géographiques. Rubrique Cartes postales du monde. 22 juin 2006. Article N°894. (http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=894)

 

 

 

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22/06/2006
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