PIERRE OZER

PIERRE OZER

Pour 80 milliards de dollars de catastrophes naturelles [La Libre Belgique]

Début 2006, nous y sommes. Les sociétés de réassurances, la «Swiss Re» et la «Munich Re» en fer de lance, ont bouclé leurs comptes. Et l'heure est grave: les catastrophes naturelles de 2005 leur auront coûté plus de 80 milliards de dollars. Record battu, non, pulvérisé, comme l'effet d'une bombe à fragmentation américaine tombée malencontreusement sur un hôpital irakien ou, moins polémique, comme un séisme qui balaye toute une génération d'écoliers au Cachemire lors d'un tremblement de terre, pourtant attendu, faute de constructions parasismiques...

Comme on pouvait s'y attendre, l'addition est lourde, accablante. L'ouragan Katrina, à lui seul, aura coûté plus de 45 milliards de dollars en pertes assurées, et surpasse le précédant record... annuel datant de 2004.

L'heure est grave? Rien n'est moins sûr. Et à la «Munich Re» de rassurer ses investisseurs en clamant haut et fort qu'elle maintiendra son objectif de résultat pour 2005 et versera un dividende majoré de 55 pc.

Mais l'objet de cet article n'est pas là, et plutôt de comparer certains chiffres. Car si l'année 2005 a été marquée par nombre de malgouvernances politiques coûteuses en Wallonie (des réfections de cabinets ministériels, le scandale de la Carolorégienne ou encore l'«affaire Francorchamps») s'entendant en dizaines de milliers ou en millions d'euros, elle a également été nourrie d'espoir au niveau global, international, et plus particulièrement à l'égard des pays les plus pauvres et surendettés de la planète.

En effet, en juin 2005 lors du Sommet de Gleneagles, le G 8 a décidé de poser un acte fort, unique dans son histoire: annuler la dette des 18 pays pauvres les plus endettés, la plupart africains. Ceci correspond à près de 40 milliards de dollars, soit moins de la moitié que ce que les sociétés de réassurances ont déboursé pour «réparer les dégâts» en 2005.

Mais ce n'est pas tout. Les sociétés de réassurances parlent de trois choses primordiales pour le montant des désastres naturels durant l'année 2005. D'abord, il y a le coût global des pertes économiques totales estimées à 225 milliards de dollars, soit plus de la moitié du PIB global de l'Afrique subsaharienne, ou l'équivalent de mille ans de Plan Marshall pour la Wallonie. Ensuite, les coûts assurés représentent une somme bien plus élevée que tout le montant annuel dévolu à l'aide mondiale au développement. Puis, il y a le triste bilan humain (112.000 personnes ont perdu la vie), soit la deuxième année la plus meurtrière de ces 25 dernières années, juste derrière l'année tsunami de 2004.

Et là où le bât blesse, c'est cette comparaison «coûts assurés» et «bilan humain». On tend à dire que l'un est synonyme de l'autre. Or, rien n'est plus faux. Car les victimes des désastres naturels aux Etats-Unis et en Europe représentent approximativement un pour cent des pertes humaines contre près de 96 pc des pertes assurées en 2005. Il est bon de rappeler ici que lors du dramatique tsunami de décembre 2004 dans l'Océan Indien, ladite première catastrophe mondialisée, moins de 100 millions de dollars déboursés par les assurances étaient destinés aux pertes assurées des 220.000 personnes locales ayant perdu la vie dans le cataclysme alors que près de 5 milliards de dollars couvraient les quelque 2.000 victimes occidentales et les infrastructures - occidentales elles aussi - qui les accueillaient...

En 2005 donc, une victime du peuple du Nord aura coûté au secteur des assurances plus de 1.600 fois plus qu'une victime du peuple du Sud... Et cela sans compter les multiples dizaines de milliers de morts dues à la famine au Niger ou ailleurs en Afrique qui, comme à l'habitude, ne sont pas comptabilisées dans les statistiques des sociétés de réassurances... Cette «année catastrophe» ne fait que souligner la détresse permanente de ces victimes ordinaires de l'inégale répartition des richesses dans le monde. Aussi, en termes économiques, on peut s'interroger: y a-t-il «Hommes» et «Sous-Hommes» selon qu'on appartienne au Nord ou au Sud? Et ce, malgré la même souffrance...

 

Pierre OZER & Florence DE LONGUEVILLE, La Libre Belgique (Belgique), 16 janvier 2006.

 

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Note:

Depuis la publication de cet article, le coût des pertes assurées en 2005 a été revu à la hausse (94 milliards de dollars) puisque l'ouragan Katrina aura engendré plus de 60 milliards de dollars à lui seul... 14 milliards de dollars en plus donc... soit l'équivalent de plus de 20 fois le PIB annuel du Burundi...

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Pour avoir la version pdf de cet article, envoyez-moi un mail: pozer@ulg.ac.be

 

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20/06/2006
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