PIERRE OZER

PIERRE OZER

Zones sèches, zones menacées [Le Soir]

Zones sèches, zones menacées

Audrey Binet, 23 novembre 2009, Le Soir.

 

Quarante pour cent des terres disponibles sur Terre sont actuellement menacées par la désertification. L’Afrique et l’Asie sont les continents les plus affectés, mais le phénomène concerne aussi le sud et le centre de l’Europe où la dégradation des sols, les sécheresses prolongées, l’irrégularité des précipitations et les feux de forêts inquiètent. Une situation que le réchauffement climatique menace d’aggraver considérablement.

« La désertification n’est pas qu’une avancée du désert, c’est bien trop simpliste comme vision », précise Eric Lambin, professeur au département de géographie de l’Université catholique de Louvain (UCL). La définition de ce phénomène retenue au niveau internationale est celle donnée par la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification : « Dégradation des terres dans les zones arides, semi-arides et subhumides sèches par suite de divers facteurs parmi lesquels les variations climatiques et les activités humaines ». De cette dégradation des terres s’ensuit une diminution de la productivité biologique et donc des ressources disponibles pour les populations locales.

« Les régions sujettes à la désertification sont des zones marginales sur le plan écologique, explique Eric Lambin. Elles sont plus facilement érodées et soumises à une variabilité climatique plus élevée que les autres régions du monde. » Sur le plan socio-économique, ce sont des zones à faible densité de population où la pauvreté et l’instabilité politique dominent, ce qui contribue à leur marginalisation. « Le fond du problème c’est la vulnérabilité de ces régions. Des perturbations d’origine naturelle ou socio-économique les font facilement basculer », analyse Lambin.

Comment les populations locales font-elles face à cette instabilité ? Grâce au savoir traditionnel. Parfaitement conscients de la fragilité des terres qui les nourrit, les habitants s’adaptent grâce à leurs propres pratiques agricoles et réseaux sociaux. « Cet équilibre est souvent menacé par le remplacement de ce savoir par des techniques d’exploitation inadaptées », indique cependant Eric Lambin. Le désastre, d’origine 100 % humaine, de la mer d’Aral illustre bien la mauvaise gestion des ressources de telles régions. Dans les années 60, l’Union soviétique s’est fixé l’objectif d’augmenter sa production de coton. Une culture grande consommatrice d’eau. Les eaux des deux fleuves alimentant la mer d’Aral ont ainsi été utilisées pour irriguer des millions d’hectares de terres semi-arides. Mais à un prix fort : la superficie de la mer d’Aral a diminué de moitié, des communautés entières de pêcheurs se sont retrouvées sans travail, la salinité de l’eau y a augmenté, tuant quasiment toute forme de vie…

Si les populations locales ont recours au savoir traditionnel pour retirer un maximum de ressources de ces zones marginales sans les déstabiliser davantage, le réchauffement climatique représente une menace supplémentaire pour leur prospérité, voire leur survie même. « Ces régions sont soumises à une variabilité naturelle du climat, avec une alternance de périodes sèches et humides.

Mais la contrainte supplémentaire du réchauffement climatique va faire augmenter la proportion d’événements pluviométriques extrêmes », prévient Pierre Ozer, géographe attaché au département des sciences et gestion de l’environnement de l’Université de Liège. Ce phénomène est déjà observé en Afrique dans la région du Sahel, où certaines années, même si la pluviométrie moyenne reste égale, le nombre de jours de pluie diminue. Les précipitations se concentrent parfois sur deux événements extrêmes sur l’année au lieu de s’étaler sur une période de trois mois ».

Avec le réchauffement du climat les périodes de sécheresse pourraient y devenir plus longues, plus fréquentes et les populations atteindre leur seuil critique d’adaptabilité. « C’est le cas en Australie, par exemple, reprend Eric Lambin. Cela fait une dizaine d’années que ce pays subit de longues sécheresses, au point que des agriculteurs ont été forcés d’abandonner leur ferme ». Bien qu’il est difficile de mesurer l’impact réel du réchauffement climatique sur les régions à haut risque de désertification, vu la variabilité climatique naturelle qui y sévit, dans certaines régions il est indéniable. « Dans le cas de l’Australie, les prédictions des modèles climatiques et la répétition de ces épisodes de sécheresse dans la région Sud-Est concordent. Cela permet d’affirmer qu’il est peu probable que cela soit simplement dû aux variations climatiques naturelles », poursuit Eric Lambin, auteur du livre Une écologie du bonheur dans lequel il dresse une synthèse de l’interaction entre le bonheur humain et l’environnement naturel.

Parmi les régions pour lesquelles les modèles climatiques s’accordent pour prédire une diminution de la pluviométrie, on compte également le bassin méditerranéen. « Les modèles indiquent que tant les régions du sud de l’Europe que celles du nord de l’Afrique bordant la mer Méditerranée devraient subir un assèchement de 40 % par rapport aux années 80-90 qui étaient déjà elles-mêmes particulièrement sèches », précise Pierre Ozer.

Et comme la dégradation des terres entraîne une diminution, voire une disparition, du couvert végétal, la quantité d’eau que les plantes relâchent par évapotranspiration diminue également. D’où un assèchement des masses d’air et une amplification du phénomène au niveau local.

Comment briser ce cercle vicieux et faire face à cette catastrophe environnementale, économique et humaine ? Limiter le réchauffement climatique pour réduire l’impact de ce phénomène dans les régions arides, déjà vulnérables, est une chose. Sur le terrain d’autre part, il existe des programmes qui visent à améliorer la production agricole, en construisant par exemple des barrages pour retenir l’eau en période des pluies et constituer ainsi une réserve pour irriguer les plantations tout au long de l’année. « Il faut informer les populations de ces régions de ce qui les attend pour diminuer leur vulnérabilité face à la désertification », conclut Pierre Ozer.



07/12/2009
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