PIERRE OZER

PIERRE OZER

2006, Année Internationale des Déserts et de la Désertification [Le Soir]

La désertification est considérée comme l'une des problématiques environnementales les plus préoccupantes du 21e siècle. Par désertification, on entend la dégradation des terres dans les zones arides, semi-arides et sub-humides sèches par suite de divers facteurs, parmi lesquels les variations climatiques et les activités humaines. Cette dégradation environnementale affecte directement 1 milliard d'hectares et menace près de 35% des terres de la planète ainsi que les moyens de subsistance de deux milliards d'individus. Les estimations des pertes financières mondiales dues à la désertification sont colossales, de l'ordre de 40 milliards d'euros par an.

Ces chiffres parlent d'eux-mêmes et traduisent à quel point la dégradation des terres arides est une entrave au développement des pays les plus pauvres. Suite au 'Sommet de la Terre' de Rio en 1992, la communauté internationale s'est dotée d'un instrument juridique pouvant apporter une réponse globale forte à cette problématique. C'est ainsi que, en 1994, la Convention des Nations Unies de Lutte contre la Désertification (CNULD) a vu le jour. Cependant, la lutte contre la désertification souffre cruellement d'un manque d'intérêt, tant des médias que du politique à cause, entre autres, du caractère lent et sournois du processus. C'est pour cela que, malgré les défis que représente la lutte contre la désertification, la CNULD ne bénéficie que d'un budget de base de 7,1 millions d'euros par an. L'année 2006 a été proclamée année des déserts et de la désertification par les Nations Unies, c'est l'occasion de braquer les projecteurs sur ce cancer environnemental qui est loin d'être une fatalité mais qui reflète les inégalités Nord-Sud.

Dans certaines zones, la diminution, voire la disparition totale du couvert végétal favorise une augmentation importante de l'érosion éolienne. Cela se traduit par un appauvrissement ininterrompu des sols ou par des routes qui se trouvent coupées par des dunes vives engendrant un surenclavement de zones déjà difficiles d'accès. Ailleurs, ces mêmes dunes recouvrent les terres arables et les canaux d'irrigation, compromettant de la sorte la sécurité alimentaire perpétuellement fragile. En d'autres lieux, ce sont les oasis qui se trouvent phagocytées par l'avancée continue de ces murs de sable, réduisant à néant les possibilités de cultures de contre saison et les accès à divers points d'eau et détruisant implacablement habitations, dispensaires et écoles. Dans des cas extrêmes, on ne trouve plus actuellement que la cuirasse latéritique là où, il y a trente ans, les terres étaient encore densément boisées.

Cette dégradation environnementale, couplée à une démographie galopante, ne fait qu'augmenter la vulnérabilité face à l'insécurité alimentaire comme au Niger où plus de trois millions de personnes ont été menacées par la famine en 2005. Quand des communautés entières sont contraintes à épuiser leurs ressources naturelles pour assurer leur survie, la gestion durable des sols ne peut constituer une priorité. Mais arrive un moment où, faute de terres arables en suffisance pour faire pousser leurs récoltes ou pour élever leur bétail, beaucoup doivent se résoudre à migrer. Cet exil forcé s'oriente vers des zones plus fertiles, des agglomérations ou vers les pays du Nord, et est systématiquement associé à des conflits d'ordres divers.

L'afflux de ces réfugiés environnementaux se fait fortement ressentir au niveau des villes qui connaissent une explosion démographique difficilement contrôlable, entraînant une augmentation dramatique de la vulnérabilité de ces nouveaux arrivants aux maladies et aux risques naturels. Ainsi, en août et septembre 2005, près de 200 000 personnes des banlieues pauvres et surpeuplées de Dakar étaient les pieds dans l'eau, dans des conditions sanitaires déplorables et dans l'indifférence la plus totale des médias occidentaux. Ces nouveaux quartiers spontanés, nés des grandes migrations consécutives à la vague de sécheresse des années 1980, se sont installés dans des dépressions jadis marécageuses où les eaux de pluie ne peuvent s'évacuer en l'absence de plan d'urbanisme. Cette situation dramatique a suffi à multiplier les cas de choléra par dix par rapport à la moyenne.

Mais, progressivement, les migrations dues à la désertification n'ont plus de frontières. Le triste exemple de ces immigrants tentant à tout prix de franchir, au péril de leur vie, les clôtures surmontées de fils barbelés protégeant les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla au Maroc en est la preuve, sans compter tous les désespérés qui, chaque jour, tentent la traversée de la Méditerranée. Et ce n'est qu'un début car, selon les Nations Unies, près de 60 millions de personnes quitteront les zones arides sub-sahariennes affectées par la désertification pour l'Afrique du Nord et l'Europe d'ici à 2020. Et à cette nouvelle étape de l'extension de la désertification, l'Europe ne semble pas préparée…

Lutter contre la désertification est une lourde et longue tâche mais des solutions existent et nous les connaissons. Il est donc temps d'agir, de se ressaisir et de se mobiliser. Mais ce n'est pas gagné. Il y a quelques semaines, dans l'indifférence la plus générale, se tenait la 7ème Conférence des Parties de la CNULD. Plus de 2000 personnes se sont réunies pour des négociations âpres sur un thème passionné. Après plus de 24 heures de négociations, les Etats-Unis, face à des Européens peu convaincants, ont imposé une drastique diminution des ressources de la Convention, en refusant de tenir compte du taux de change euro/dollar. Ainsi, ils ne seront plus que 30 à travailler à la CNULD en 2006 contre 43 l'année précédente…

 

Pierre OZER, Le Soir (Belgique), 18 janvier 2006.

 

Pour avoir la version pdf de cet article, envoyez-moi un mail: pozer@ulg.ac.be

 

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20/06/2006
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