PIERRE OZER

PIERRE OZER

Chronique d'un changement espéré [La Presse du Jour]

Parakou, centre du Bénin, début avril 2006, le soleil est au rendez-vous et tape, l'humidité étouffe. Nous partons dans le Nord, à la frontière avec le Niger. Dans le véhicule toutes fenêtres ouvertes, la musique, toujours présente, hurle les bienfaits à venir du Docteur Yayi Boni, le futur président de la République, élu à une forte majorité. La cassette tourne en boucle. Notre mission est d'estimer la dégradation des ressources naturelles dans les régions septentrionales du pays.

Soudain, le goudron unique menant au Niger se transforme en une succession grégaire de nids d'autruches. Le slalom géant a commencé, pour plus de cent kilomètres. Avancer et dépasser devient du grand art dans ces conditions. Nous suivons longuement un gros porteur. A chaque anfractuosité, un gigantesque panache de poussière se dégage, visibilité nulle. Le long de cette portion, les carcasses s'amoncellent de part et d'autre de la route et rappellent notre chauffeur à une conduite très prudente. Nous transitons par Gamia, un village africain comme les autres où les ordures jonchent le sol, où les enfants amassés autour du puits remplissent des bidons, et où tous les métiers s'exercent, de la boutique Flash Couture au salon Espoir Coiffure, en passant par le garage Retour à la case départ. Seule particularité, la présence d'un palace tout en faïences, y compris les murs d'enceinte. Il s'élance vers le bleu majestueux du ciel jusqu'à dépasser le minaret de la mosquée, et contraste honteusement avec la précarité ambiante. Ce palais n'est autre que l'une des multiples résidences d'un officier supérieur de la gendarmerie qui a fait fortune en s'occupant, durant deux années, de la sécurité du Port de Cotonou. Un responsable d'une ONG locale oeuvrant dans le domaine de la santé nous lance « les riches de ce pays, ce sont les agents de l'Etat qui sont en charge de la répression et qui professionnalisent la corruption. Nous manquons cruellement de moyens pour assurer des services de base à la population alors qu'une minorité étale nonchalamment son argent sale. Mais cela va changer avec le nouveau Président ! ».

Nous continuons notre route pour arriver à Malanville, au bord du fleuve Niger. Le paysage rural est totalement sahélien, ouvert, avec très peu d'arbres. Les forêts y ont été coupées pour laisser place à l'agriculture. Les conséquences sont palpables. Une jeune femme et ses deux fillettes reviennent au village, chargées de fagots de bois menu qu'elles transportent dans des récipients métalliques sur la tête. Ici, le bois est l'unique source d'énergie, et se fait de plus en plus rare. Elle nous dit que le ramassage du bois s'allonge sans cesse et nécessite actuellement quatre heures d'efforts contre une petite heure durant sa jeunesse. Non loin de là, des agriculteurs nous affirment que les rendements de leurs cultures s'amenuisent d'années en années. Pour Amadou Godji, agent local de l'Institut national des recherches agricoles du Bénin, les causes de cette dégradation des conditions de vie sont simples et bien connues : la croissance démographique galopante et la diminution des pluies. Dépité, il nous implore : « Il faut nous aider sans attendre sinon, dans dix ans, c'est fini ! Nous sommes conscients que cela ne va plus comme autrefois, et nous sommes disposés à changer mais il faut nous dire quoi faire ! ». La nuit tombe. Nous quittons le village embaumé dans les fumées de bois de cuisson.

Après une quête interminable de carburant dans les stations en rupture de stocks depuis bientôt un mois, nous nous approvisionnons au marché noir et migrons lentement vers le sud. Yayi Boni nous accompagne toujours musicalement. Aux alentours de Kandi, nous traversons un domaine forestier protégé pour la sauvegarde de la flore et de la faune. Le spectacle est totalement différent. Tout est vert. En réalité, ce n'est qu'un leurre. Nous pénétrons à pied le rideau de verdure, une centaine de mètres suffisent. D'abord, les savanes arbustives et arborées sont ravagées par le passage du feu, un préliminaire au défrichement pur et simple pour l'expansion de l'agriculture. Quelques secondes supplémentaires suffisent alors pour sortir de la formation ligneuse et voir, à perte de vue un paysage totalement vide où quelques arbres ont été préservés. C'est le coton, l'or blanc du Bénin. La culture du coton nécessite un maximum de luminosité, et c'est pour cela que les arbres y sont persona non grata.

Soumanou Garba, chef du cantonnement forestier de Kandi, nous invite de bon matin à partager le petit déjeuner. L'homme est jovial et respecté de tous. La discussion s'engage, entrecoupée perpétuellement par le grésillement de ses deux téléphones portables. Il est à la tête de 22 hommes dont la mission est de faire respecter la législation sur l'exploitation forestière. Selon lui, le coton, qui ne rapporte plus rien à l'économie du pays, est une véritable plaie pour la préservation des ressources naturelles. Les populations défrichent sans se préoccuper du lendemain et le recours systématique aux herbicides compromet la reprise de la végétation lorsque les champs, épuisés, sont abandonnés. Il déplore également l'afflux de plus en plus important de migrants nigériens ou nigérians en quête de nouvelles terres « qui ne respectent rien ». Il assure que son équipe n'est pas inactive puisque près de 300 contraventions sont dressées annuellement. Nous lui faisons part de notre étonnement par rapport à ce faible nombre de contraventions pour 22 hommes. Il rétorque directement que son rayon d'action est limité puisque le cantonnement ne dispose que d'un véhicule 4x4 qui n'est utilisé que sur le goudron pour ne pas le gâter. Il faut bien survivre, ajoute-t-il à mi-voix, et le salaire d'un débutant (40.000 francs CFA, soit 60 €) ne le permet pas. Corruption ? « Je ne répondrai pas à cette question », nous dit-il avec un sourire en coin. Mais, depuis la table voisine, une personne de la place désirant garder l'anonymat tempête « Ces jeunes gardes forestiers construisent leur maison et conduisent leur propre véhicule après trois ou quatre ans de service… Faites donc vos calculs savants ! ». Soumanou Garba reste de marbre.

De retour à Parakou, nous rencontrons Jacob Yabi, enseignant d'économie rurale à l'université de Parakou. Selon lui, toutes les études sont claires, c'est le pouvoir en place qui a déstructuré totalement la filière du coton qui a fait la richesse du Bénin. La corruption a détourné des sommes colossales. Il y a quelques années encore, le coton représentait plus de 75% de la valeur monétaire de toutes les exportations du pays. Le Bénin symbolisait la réussite. « Maintenant, le Mali et le Burkina Faso font mieux que nous et le coton ne représente plus que 40% des exportations du pays. Je ne donne pas deux années avant que la filière de l'anacardier [noix de cajou] ne subisse le même processus de destruction massive ».

Lassé de se répéter, pour lui, comme pour les 74,5% du peuple béninois ayant voté pour le Docteur Yayi Boni, c'est clair, seul le changement sauvera le Bénin…

« Ca peut changer, ça doit changer, ça va changer ! » clament les affiches électorales à l'effigie du nouveau président. Pour le peuple béninois, espérons que le Docteur ne soit pas seulement un Général Alcazar [1].

 

Complément d'information :

L'année 2006 a été déclarée « Année internationale des déserts et de la désertification » par les Nations unies (http://www.iydd.org/). C'est l'occasion pour nous de braquer les projecteurs sur ce cancer environnemental qui ronge le Nord du Bénin.

Selon le dernier rapport de la FAO (2006) sur l'évaluation des ressources forestières dans le monde, les superficies forestières couvraient 23510 km2 au Bénin en 2005. Avec un recul annuel de 647 km2 au cours des 15 dernières années, se sont 29% des superficies forestières qui ont disparu entre 1990 et 2005. A ce rythme, il ne devrait plus rester de forêts au Bénin d'ici à 2040… (FAO, 2006. Global Forest Resources Assessment 2005. FAO Forestry Paper No. 147, Rome, Italie).

 

[1] en référence à « Tintin et les Picaros » de Hergé.

 

Yvon-Carmen HOUNTONDJI & Pierre OZER, 2006. Lutte contre la désertification au Bénin : Chronique d'un changement espéré. La Presse du Jour (Bénin), 12 avril 2006.

Pierre OZER & Yvon-Carmen HOUNTONDJI, 2006. Carte postale de Kandi (Bénin) : Chronique d'un changement espéré. Cafés Géofraphiques. Rubrique Cartes postales du monde. Article N°860. (http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=860)

 

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20/06/2006
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