PIERRE OZER

PIERRE OZER

Désertification: Inverser la tendance...

Interview de Pierre Ozer par Patricia Janssens, journaliste au 15e Jour du Mois, mensuel de l'Université de Liège, janvier 2006.

http://www.ulg.ac.be/le15jour/150/desert.shtml

 

 

En 1968, le lac Tchad s'étendait sur près de 23 500 km2. Aujourd'hui, il en couvre à peine 1355. Dans l'est du Niger, neuf forêts classées sur 12 ont disparu. Depuis 1970, plus de 60% des mangroves et forêts alluviales du Sénégal ont péri et on estime que la forêt aurait reculé de 800 000 ha entre 1980 et 1990. En d'autres lieux, des oasis sont dangereusement menacées par l'avancée continue de murs de sable, réduisant à néant les accès aux points d'eau pour la population et le cheptel.

Prise de conscience

Des exemples de ce type, Pierre Ozer, chargé de recherches au département des sciences et gestion de l'environnement de l'Université de Liège, peut en citer d'autres encore... Ad nauseam : la désertification – ce "cancer environnemental" comme il le nomme – sévit sur tous les continents. « L'Asie est atteinte, l'Amérique et l'Australie aussi. Même l'Europe la voit se développer au sud de l'Espagne et de l'Italie, explique le chercheur. Mais c'est l'Afrique la plus durement touchée. Car partout ailleurs, en Chine notamment mais aussi au Mexique, des stratégies ont été mises en place qui portent leurs fruits. Il n'y a pas de fatalité devant la désertification : tout est question de volonté et de moyens. »

Volonté d'abord d'ouvrir les yeux. La désertification n'est pas un tsunami. Le choc est moins violent, les images moins spectaculaires, mais les effets sont tout aussi tragiques. Les sols s'appauvrissent et les cultures s'affaiblissent. Les conflits entre éleveurs et agriculteurs se multiplient à cause de la raréfaction des ressources naturelles, sans parler de l'augmentation de la pollution atmosphérique due aux poussières minérales, responsable d'épidémies de méningite et de maladies respiratoires. Conséquence directe aussi : les habitations, les dispensaires, les écoles s'écroulent sous le poids du sable et sont très rarement reconstruites. A l'heure actuelle, un milliard de personnes souffrent des conséquences de la désertification.

En 1977, lors de la grande famine au Sahel, l'ONU s'inquiète. En 1992, au Sommet de la Terre de Rio, elle décide de créer la convention des Nations unies de "Lutte contre la désertification". Elle lui alloue actuellement huit millions d'euros et la Belgique y contribue à hauteur de 74 000 euros par an. « Une misère, estime Pierre Ozer, responsable du DES en gestion des risques naturels, pour une problématique environnementale dont les pertes financières s'élèvent à plus de 40 milliards de dollars par an, essentiellement dans les pays du Sud. Car si la sécheresse peut être une cause de désertification, ce sont principalement les activités humaines qui sont à la base du phénomène. Nous devons dès lors inculquer aux populations locales, très démunies tant en moyens qu'en connaissances, les bonnes attitudes à adopter, lesquelles sont très simples bien souvent. »

L'explosion démographique explique en grande partie le déboisement effréné des forêts (dans la région du Sahel – Sénégal, Mali, Mauritanie, Niger et Burkina Faso –, la population est passée, en 40 ans, de 16 à 52 millions d'habitants). Mais des politiques agricoles inadaptées et l'utilisation irrationnelle de l'eau aggravent le phénomène. « Il y a urgence, plaide le chercheur. Il faut réapprendre aux autochtones les gestes qui sauvent. » Indépendamment du reboisement qui est essentiel – la Chine vient de l'expérimenter avec succès –, des mesures peuvent aussi être prises en amont afin d'éviter, par exemple, l'épuisement du sol. Une chose est certaine : les efforts doivent être menés sur plusieurs années et ne seront couronnés de succès que s'ils impliquent la population locale.

« Dans l'est du Niger, nous menons un projet de stabilisation des dunes qui menacent des oasis, poursuit Pierre Ozer. Certains étudiants belges travaillent sur place et deux doctorants nigériens assurent une permanence indispensable à la continuité du processus. Dans un premier temps, nous avons mis sur pied une pépinière d'essences diverses pour déterminer quels arbres replanter. Mais nous avons également participé à la création d'une école en partant du principe que l'éducation est à la base de tout développement. » En Mauritanie, grâce au soutien financier de l'Agence universitaire de la francophonie, l'équipe mène une étude sur une meilleure gestion des ressources hydriques et sur un système d'irrigation plus performant pour les cultures. « Il a plu suffisamment dans la région, mais l'eau est détournée par les agriculteurs, ce qui appauvrit les zones humides, les lacs et donc, à terme, menace la pêche. »

Exil à endiguer

Certes, les gouvernements africains ont de grands défis à relever (crise économique, démographie galopante, épidémie du sida, etc.), ce qui relègue la problématique de la désertification au second plan. L'Europe et la communauté internationale devraient, elles, retrousser leurs manches car les populations africaines n'auront bientôt d'autre choix pour survivre que l'exil. Et si 30 000 jeunes adultes se pressaient dans les enclaves de Ceuta et Mellila en 2005, ils pourraient bien être beaucoup plus nombreux dans quelques années. L'ONU ose même le chiffre de 60 millions de personnes affectées par la désertification qui pourraient tenter de franchir la Méditerranée d'ici 2020. Il n'est pas sûr que l'Europe sera prête à les accueillir.



01/10/2006
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