Il est encore long le chemin... [Le Soir]
Elections 2009: Environnement.
Il est encore long le chemin...
Où que l'oreille traîne, la rengaine est la même. L'environnement en Wallonie n'est sans doute pas le plus dégradé. Mais il est soumis à des pressions et à des menaces qui nécessitent une politique vigoureuse. Pour sauver ce qui peut encore l'être. Voire opérer un virage vers une société plus « durable ». Dit autrement : « Les gens font de plus en plus attention, indique Pierre Ozer, chargé de cours à l'Université de Liège. Mais au niveau politique, l'environnement passe toujours après les autres préoccupations. Il règne toujours la peur de déplaire, à l'opinion et aux lobbies. Or, si l'on oriente les politiques en expliquant correctement, la population suivra. Comme elle a suivi lorsqu'on a interdit de fumer dans les restaurants. Aujourd'hui, personne n'y trouve à redire. » Crise, problèmes non résolus : ces mots remplissent la bouche des experts. Et l'alarme : « Il est temps de prendre conscience. »
Au niveau politique, derrière les discours et les décisions prises sous pression européenne, s'en soucie-t-on ?
Pour Ozer, « si les politiques n'ont pas compris qu'on est bien plus vulnérable qu'on le croyait, alors c'est grave ! »
Christophe Schoune, secrétaire général d'Inter-Environnement (IEW), juge quant à lui qu'« au regard des engagements de 2004, des choses positives peuvent être retenues, mais au regard des enjeux, le bilan est très mauvais. Le frémissement n'est qu'extrêmement léger. » Entre un plan Marshall quasi muet sur la question, en septembre 2005, et une version 2.0 qui crée un pôle « développement durable », il y a progrès. Que certains jugent encore insuffisant.
Chez IEW (1), on juge avec bienveillance « le volontarisme » du ministre sortant, le CDH Benoît Lutgen. « Mais il s'est souvent heurté à un rapport des forces défavorable et s'est retrouvé à prêcher dans le désert. » Tour d'horizon d'une des principales préoccupations des francophones (Le Soir des 28 et 29 avril).
Climat : pourvu que ça dure…
Un secteur dans lequel la Wallonie tire son épingle du jeu ! Entre 1990 et 2007, les émissions de gaz à effet de serre de la Région ont diminué de 14 %. « A ce stade, la Région est la seule en Belgique qui remplit ses obligations du protocole de Kyoto », dit un connaisseur. Mais l'analyse montre que la réduction des émissions est surtout due à une utilisation croissante du gaz naturel, aux réductions volontaires réalisées par les entreprises (fin 2007, les accords de branche concernaient 162 entreprises de 15 secteurs), aux fermetures d'outils dans la sidérurgie où par ailleurs l'utilisation des fours électriques se répand. Dernier élément favorable : des hivers très doux qui ont allégé le poids du chauffage.
Par ailleurs, les émissions wallonnes qui représentent 35 % du total belge de gaz à effet de serre restent, par habitant, au-dessus de la moyenne européenne (13,9 tonnes/équivalent CO2, contre 10,4 t). L'industrie manufacturière pèse encore 44 % de la consommation finale d'énergie (moyenne européenne 35 %).
Il ne faut pas bouder une bonne nouvelle, même si les futures réductions de gaz à effet de serre qui s'imposeront à la Wallonie après 2012 seront très fortes. Personne n'ose encore évoquer tout haut ce qu'on chuchote : le « combat d'arrière-garde » pour préserver la sidérurgie. Et nul ne se risquerait à remettre en cause la politique aéroportuaire.
Mais tous le disent : un gros point noir est loin d'être résorbé. Les émissions du transport routier (près de 20 %) ne cessent de croître. Huit déplacements sur dix, en Wallonie, se font en voiture, favorisés par l'éclatement de l'urbanisation, note le tableau de bord de l'environnement wallon (2). Malgré la croissance des passagers, la part des transports en commun n'est qu'en faible augmentation. « Le problème, évalue Pierre Courbe, chargé de mission à IEW, c'est qu'on ne s'attaque pas à la demande de mobilité. Or, c'est la priorité. » Certes, les performances des autos se sont améliorées, mais, note l'administration, « les gains d'efficience sont partiellement annulés par la hausse du poids des véhicules ou la généralisation d'équipements énergivores comme l'air conditionné ».
Energie : l'effort sera considérable
La réduction des gaz à effet de serre et de la pollution passera aussi par une meilleure utilisation de l'énergie. La Région a fait de gros efforts. La part des énergies renouvelables dans la consommation est de 5,5 %, grâce notamment au soutien de la Région. D'ici la fin de la législature, ce chiffre devra passer à 13 %. Les efforts actuels ne suffisent donc pas. Et surtout, il faut consommer moins, insiste Ozer : « Investir à 200 % dans l'isolation et l'autonomie énergétique des bâtiments permettrait de créer de l'emploi à 200 à l'heure ! » Un secteur pour lequel certaines études évoquent la possibilité de créer près de 50.000 emplois. Il faut, dit Schoune, « évaluer et revoir le système des primes [de 30.000 en 2003 à 70.000 en 2007, NDLR]. La priorité doit aller à l'isolation. On a préféré des mesures visibles et populaires (éolien, solaire, écobonus…) mais peut-être pas les plus efficaces. »
Biodiversité : de gros soucis
Les menaces sur la biodiversité ne sont pas neuves. Et la Wallonie n'y coupe pas. Le dernier tableau de bord wallon est clair : 32 % des espèces étudiées sont menacées de disparition. Près de 9 % ont déjà disparu. Chez les chauves-souris, les poissons, les reptiles, les papillons de jour, les libellules et demoiselles, plus de la moitié des espèces sont en situation défavorable. Les raisons sont connues : perte et dégradation des habitats, pesticides, eutrophisation des eaux, pollutions, dégradation des conditions de migration, concurrence des espèces invasives, changement climatique…
La solution ? Des espaces protégés, dit-on chez Natagora (3). « 0,6 % du territoire wallon bénéficient du statut de réserve naturelle, or, selon les experts, il en faudrait 5 à 10 %, se plaint Philippe Funcken, le directeur de l'organisation. Sur les 223.000 ha sous statut Natura 2000, 90 % sont en mauvais état. » Lutgen veut rassurer : « Les premiers arrêtés de désignation entreront en vigueur au début de l'année. Tous (240) seront finalisés fin 2010, début 2011. » Sept ans après la désignation des zones… Par ailleurs, « le nouveau Code forestier place 3 % des forêts wallonnes, soit 4.000 ha, sous statut de réserve intégrale ».
Tout progrès : 70 % des noyaux urbains wallons bénéficient de l'épuration. 85 % le seront en 2010, promet Lutgen, et 100 % avant 2015. Reste que selon le dernier bilan de l'environnement wallon, « les teneurs en nitrates sont en hausse dans les nappes d'eau depuis plusieurs décennies ce qui peut poser des problèmes de potabilité ». Et la Région figure parmi les grands consommateurs de pesticides au niveau européen.
Pour le bio, la pente est rude
Fin 2007, les parcelles bio couvraient 3,9 % des surfaces, soit près de 30.000 ha (pour 622 exploitations). Plus des huit dixièmes sont des pâturages. La Wallonie se trouve un peu en dessous de la moyenne européenne (4,1 %), loin derrière l'Autriche (11 %), voire de l'Italie (8 %). Les produits bio ne s'adjugent encore qu'une part de marché de 1,1 % dans les dépenses totales des ménages wallons, 0,4 % de plus qu'en 2006.
Développer la filière ? Beaucoup le réclament. « On créerait des milliers d'emplois », insiste Schoune. A Rome, 100 % de la restauration collective publique (écoles, administrations, maisons de repos…) est passée au bio produit localement. « Une telle décision créerait un appel d'air et serait un signal aux opérateurs traditionnels pour leur reconversion. » Ozer ne dit pas autre chose : « Il faut récupérer de l'espace. Pour des cultures bio, permettant de multiplier les circuits courts. »
(2) http://environnement.wallonie.be/eew/
(3) www.natagora.be
Michel de Muelenaere, Le Soir, 16-17 mai 2009, p.6.
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