Moins, mieux et autrement : Maintenant ! [Le Soir]
Moins, mieux et autrement : Maintenant !
Pierre Ozer, Département des Sciences et Gestion de l'Environnement, Université de Liège
Dominique Perrin, Faculté des Sciences agronomiques de Gembloux
Veiller à la composition de notre assiette et être attentif à nos modes de déplacements sont deux éléments clefs qui font partie des multiples petits actes citoyens que nous pouvons poser pour diminuer notre empreinte écologique et participer à l'effort mondial pour lutter contre le réchauffement climatique. Refuser de s'adapter et de changer ne reflète que notre opiniâtreté à vouloir nous emmitoufler dans un mode de vie qui n'est plus viable et notre incapacité à se détourner de notre société d'auto-consumation. Cette modification fondamentale de nos comportements doit être collective. Elle ne signifie pas une marche en arrière mais l'exploration d'une autre voie.
Voici ce que nous écrivions il y a deux ou trois ans, lorsque le prix du baril de pétrole oscillait autour des 65 dollars… Si une part de la population s'est adaptée, la grande majorité a continué, tête baissée, à fonctionner dans ce système hypnotisant. S'agit-il ici de blâmer les citoyens réticents ? Pas du tout, mais plutôt de dresser une carte rouge aux forces vives qui orientent les forces du marché et qui refusent en bloc l'idée de consommer « moins, mieux et autrement ». « Moins ? », mais vous êtes fous ! Que faites-vous de la croissance ? « Mieux ? », mais mieux, messieurs, cela signifie « moins cher » pour les consommateurs. « Autrement ? », mais cela va prendre des décennies pour changer les habitudes des gens. Et puis, vous savez, lutter contre le réchauffement climatique…
Pourtant, une étude présentée fin 2007 par les Nations unies indiquait que 76% des 500 plus grandes compagnies au monde estiment que si une compagnie ne diminue pas drastiquement sa dépendance aux énergies fossiles (et donc, par corollaire, ne diminue pas ses émissions de CO2) et ne s'adapte pas, ses horizons sont plutôt limités pour les décennies à venir. Il est clair que cette évidence venant du secteur privé est applicable à toutes les sociétés civiles, y compris à
Mais maintenant que le baril flirte avec les 140 dollars, entraînant un envol des prix des denrées alimentaires, de l'énergie et du plein de carburant, les choses changent, non pas pour contrôler la température de la planète, mais bien pour éviter le négatif sur le compte en banque. Pour certains d'entre nous, les plus vulnérables, le « moins » s'impose, parfois dramatiquement ; le « mieux » n'est pas envisageable, faute d'adaptation préalable ; et l'« autrement » s'avère être extrêmement difficile par manque de capacité d'investissement. Avec une violence inouïe, donc, la paupérisation s'étend, les travailleurs descendent dans la rue et les moins nantis risquent d'y rester.
Il appartient maintenant au monde politique de gérer cette crise très probablement structurelle dans l'urgence. La réaction minimale est d'imposer le respect des lois qui existent et qui permettent au citoyen d'agir. De plus en plus, les citoyens se rendent compte de certaines absurdités de notre système et souhaitent modifier leurs comportements. Les mentalités évoluent dans le bon sens, mais les consommateurs doivent être informés correctement pour pouvoir poser des actes concrets. Deux exemples illustrent notre propos.
L'étiquetage des produits frais est très illustratif. Selon un sondage [i] réalisé par Le Soir ce printemps, 48% des francophones disent déjà préférer les fruits et les légumes de saison et éviter ceux cultivés en serres chauffées, le même pourcentage se dit prêt à passer à l'acte, alors que seulement 4% ne souhaitent pas s'engager dans ce choix pour réduire son empreinte écologique. Mais voilà ! Comment savoir si ces fruits et légumes ont été cultivés en serres chauffées ? Comment savoir si ces aliments sont venus par camion, bateau ou avion ? Et étant donné la variété extraordinaire des produits présents toute l'année dans nos supermarchés, comment savoir encore ce qui est de saison ou non ? Bien sûr, indiquer l'origine des produits est une obligation légale depuis 1999. Mais elle n'est pas rigoureusement respectée puisque dans certains supermarchés, l'origine indiquée ne correspond pas à l'origine réelle des produits dans près d'un cas sur trois [les détails de cette étude seront rendus publics en septembre 2008]… Rappelons ici qu'un produit local et de saison est toujours moins polluant et, dans la plupart des cas, est meilleur marché que les produits lointains dont les prix iront crescendo puisque le coût de leur transport va augmenter.
L'autre exemple est celui de la promotion des véhicules neufs. Un Arrêté royal impose que la consommation de carburant et les émissions de CO2 des voitures soient indiquées en caractères aussi grands que le slogan [voir la campagne européenne AdvertiseCO2.eu]. Ici, l'information joue un rôle décisif dans le fonctionnement des forces du marché et est susceptible d'orienter le choix des consommateurs vers les voitures qui consomment moins de carburant et qui dégagent, par conséquent, moins de CO2. En vigueur depuis janvier 2002, cette loi n'a jamais été respectée. On en est arrivé à un point tel que la question de savoir si le secteur automobile est disposé à respecter une loi belge –un comble– s'est invitée aux discussions du « Printemps de l'Environnement ». Pourtant, cette information est plus que nécessaire. Ces quatre dernières années, environ 500 000 véhicules neufs ont été vendus par an en Belgique. Imaginons que le consommateur mieux informé ait, en moyenne, opté pour un véhicule consommant seulement
Des stratégies d'adaptation simples existent donc déjà pour soulager le portefeuille des consommateurs et pour encourager les orientations vertueuses des citoyens. Il suffit simplement de veiller à leur application et d'informer. Nous espérons que ce message sera entendu et que des engagements fermes pour faire fonctionner les mesures existantes et mettre en œuvre de nouvelles politiques sortiront le 2 juillet lors de la déclaration des engagements pris dans le cadre du « Printemps de l'Environnement ».
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