PIERRE OZER

PIERRE OZER

Or bleu / Or noir [La Libre Belgique]

Une version pdf de cet article est disponible librement ici: http://hdl.handle.net/2268/15650 (une fois ouverte, allez au bas de la page et cliquez à droite sur l'onglet "Voir/Ouvrir". Acceptez la licence et le fichier pdf s'ouvrira automatiquement)

 

 

Ces mois de vacances ont été riches en catastrophes climatiques. Ainsi, en Afrique de l'Ouest, des milliers de personnes ont disparu suite à une longue famine consécutive à un ciel resté trop longtemps avare en précipitations. En Méditerranée occidentale, on ne compte plus les milliers d'hectares de forêt partis en fumée à cause de la sécheresse. Au même moment, l'Europe centrale et orientale est lasse de patauger dans l'eau. Les spécialistes qualifient ces inondations comme étant les plus graves qu'aient connues la Suisse et la Roumanie. L'Inde est également noyée alors que Taïwan se prépare à la tempête la plus violente de son histoire. Et après ces préliminaires dramatiques, voici Katrina qui sème chaos et désolation.

Et nous voici contraints de rappeler que la multiplication de ces cataclysmes climatiques est plus que probablement due au réchauffement climatique. Et que la cause de ce réchauffement est l'augmentation de la concentration des gaz à effet de serre dans l'atmosphère à cause de modes de vie à la dérive au Nord comme au Sud. Plutôt que de parler inlassablement des autres qui déboisent anarchiquement les forêts primaires tropicales ou qui refusent de signer le protocole de Kyoto, regardons ce qui se passe chez nous.

Notre petit pays de moins de 11 millions d'habitants s'est félicité il y a quelques mois d'avoir franchi le cap des 6 millions de véhicules. Si les trop jeunes, les trop âgés et les quelques irréductibles refusant catégoriquement de conduire une voiture sont déduits, on tend vers une voiture par personne, le progrès suprême. Par ailleurs, la voiture fait partie des acquis salariaux. Ainsi, près de la moitié des véhicules neufs immatriculés l'année dernière sont des voitures de sociétés, avec la sacro-sainte carte carburant qui va avec. D'autres exemples ne manquent pas...

Mais ceci risque de ne pas interpeller les lecteurs, car le fait est que nos paramètres à nous, citoyens du Nord, sont en partie formatés par notre société occidentale. Ainsi, il nous semble évident de se dire «Je suis né avec le pétrole à bas prix et je vivrai toujours avec le pétrole à bas prix». Cette logique qui a façonné nos politiques et comportements durant des décennies nous a autorisés à fermer des voies ferrées ou des gares devenues peu rentables, nous a incités à favoriser ainsi un processus de réurbanisation sauvage en bâtissant des auréoles de maisons-dortoirs autour de villages pittoresques, nous a permis de repousser toujours au lendemain des réflexions sur les transports en commun (le RER par exemple). Et nous n'avons peut-être plus beaucoup d'alternatives pour nous mouvoir... Mais voilà, il n'en fallait pas plus pour que les particuliers, Touring et les autres défenseurs des automobilistes et motards, les associations de camionneurs, et tout le bataclan protestent dans un brouhaha incompréhensible à cause d'une augmentation de 40pc des divers produits pétroliers depuis le début d'année. Cette contestation est compréhensible, mais elle se focalise sur l'acquis social et se limite au court terme. Le gouvernement répondra indubitablement à ces diverses sollicitations par la distribution d'un coupon de 75 euros ou par des compensations sectorielles dont les effets se bornent à soulager le court terme. Mais quid de la stratégie à long terme relative à notre dépendance énergétique et à son impact sur l'avenir de notre planète? Quid des leçons apprises après les divers chocs pétroliers des années 70?

Par ailleurs, ajoutons qu'il nous en coûte toujours moins cher actuellement d'acheter un litre de gasoil de chauffage qu'un litre d'eau minérale provenant des Vosges ou des Alpes, alors que la Belgique dispose d'un merveilleux réseau de distribution d'eau potable. Et que le prix de certaines eaux en bouteille, pourtant bien vendues, rivalise encore avec celui du diesel. Mais cela importe peu, ce n'est pas un acquis. Nous sommes donc disposés à payer plus cher cet or bleu que l'or noir qui est extrait du sol très loin de chez nous, puis transporté, raffiné, puis transporté encore jusqu'à notre domicile ou notre pompe à essence. Mais cela ne durera pas, car l'or noir ne peut être remplacé faute de voir les autres types d'énergies se développer rapidement, que la demande est chaque jour plus importante et que ses quantités sont limitées.

Récapitulons. Au grand mécontentement général, le prix du pétrole augmente irrésistiblement. Malgré cela, notre société ne semble pas disposée à changer ses habitudes. Nous continuons donc à émettre en quantité industrielle du CO2 et d'autres gaz à effet de serre qui contribuent au réchauffement climatique. Ce dernier provoque des cataclysmes climatiques de plus en plus violents, fréquents, coûteux et dévastateurs. Katrina, le dernier en date, a détruit plusieurs plates-formes pétrolières et près de 25pc des infrastructures de raffinage américaines lors de son furtif passage dans le golfe du Mexique. Logiquement, les places boursières se sont agitées et le baril de pétrole a encore gagné quelques dollars... qui demain se répercuteront sur nos portefeuilles... Cela devrait entamer la croissance mondiale et augmenter l'inflation, même chez nous! Et la boucle est bouclée.

Conclusion, tout est lié. Cette catastrophe est planétaire tant par ses causes que par ses conséquences. Elle démontre, peut-être, notre opiniâtreté à vouloir nous emmitoufler dans un mode de vie qui n'est plus viable et notre incapacité à se détourner de notre société d'auto-consumation. Tout au moins, elle en appelle à une modification fondamentale de nos comportements qui ne signifie pas une marche en arrière mais l'exploration d'une autre voie...

 

Collectif « Place du Marché » (Jean-Pierre BALTHASAR, Fabrice COLLIGNON, Pierre DE WIT, Pierre OZER, Dominique PERRIN & Martin WILLEMS). La Libre Belgique (Belgique), 7 septembre 2005.

 

Pour avoir la version pdf de cet article, envoyez-moi un mail: pozer@ulg.ac.be

 

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20/06/2006
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