PIERRE OZER

PIERRE OZER

Pour un Liban « durable »

Soucieux, comme beaucoup de nos concitoyens, d'œuvrer à une société « responsable », de rechercher un mode de développement « mondialement juste et durable », nous sommes confondus de constater qu'en quelques semaines on peut détruire un pays, le Liban, sans provoquer de réprobation ferme et unanime.

 

Quelle consternation de voir qu'à Rome le 26 juillet et à New York ensuite, les représentants les plus éminents de la "communauté internationale" font rimer "paix durable" et poursuite des destructions et du conflit en cours. Prendre prétexte d'une paix durable pour laisser le temps à un belligérant de marquer des points par la force est indigne et contraire au principe de paix.

« Réponse à des incidents de frontière », « problèmes de sécurité devant être résolus une bonne fois pour toutes afin de permettre ensuite une paix définitive » sont des refrains connus, qui ont justifié dans le passé les pires agressions. En signant les accords de Munich en septembre 1938 on croyait avoir sauvé la paix par une entorse aux règles internationales; on n'avait fait qu'ouvrir grand la porte pour un conflit généralisé.

 

Près d'un million de personnes déplacées, logements et villes dévastés, un pays dont les routes, les ponts, l'approvisionnement en eau et en énergie et d'autres infrastructures essentielles à la survie sont gravement endommagés, plus d'un millier de morts (dont 30 pc d'enfants de moins de 12 ans). On annonce une catastrophe humanitaire. Mais, cette fois, pas de « fatalité naturelle» à accuser comme dans le cas d'un tsunami ou autre séisme. Le gros des victimes est encore à venir. Imaginez-vous accompagnant un patient devant être hospitalisé d'urgence. Les routes sont détruites. Comment arriver à l'hôpital si on est du mauvais côté du fleuve et que les ponts sont coupés ?

 

Quelle ironie !

Fin juillet le conseil de sécurité de l'ONU vote une résolution menaçant de sanctions l'Iran si ce pays poursuit ses activités d'enrichissement d'uranium. On craint la tentation que ces activités à vocation de production énergétique ne soient dévoyées à des fins militaires. Pourtant la république islamique d'Iran, malgré qu'elle soit située au coeur d'une région où les conflits sont permanents (et où cinq pays possèdent l'arme nucléaire) et malgré que ses leaders abusent d'une rhétorique véhémente et inutilement belliqueuse, n'a pas d'historique d'agression contre ses voisins.

Simultanément, au même conseil de sécurité, les membres ne peuvent se mettre d'accord sur une résolution de cessez-le-feu alors qu'un pays en envahit un autre ; un pays qui dispose illégitimement de l'arme nucléaire et qui démontre sa propension à user de la force de manière disproportionnée.

 

Quel contraste !

En 1999, alors que la Serbie menait, dans ses frontières, au Kosovo, une opération militaro-policière brutale et excessive pour contrer la guérilla séparatiste de l'UCK, la communauté internationale intervient fermement : l'OTAN contraint la Serbie à arrêter ses opérations par une intervention militaire; le territoire séparatiste est mis sous administration des Nations Unies. Le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d'un pays cède le pas à une politique internationale morale et humanitaire.

En 2006, sous prétexte d'un incident mineur et d'une guérilla frontalière de basse intensité qui perdure, Israël répond par des frappes excessives et monstrueuses, détruit et envahit le pays voisin, bloque son espace aérien, maritime et ses frontières, provoque une catastrophe humanitaire. La "communauté internationale" s'interroge des semaines sur la pertinence d'un cessez-le-feu, du lever du blocus et d'un retrait des troupes occupantes, alors qu'il y a clairement agression d'un pays contre un autre. Pis encore, les hésitations laissent transparaître une volonté de laisser un délai à Israël pour atteindre ses buts de guerre. Pourtant le principe cardinal gouvernant les relations internationales depuis 1945, notamment à travers la charte des Nations Unies est de ne pas autoriser une nation à obtenir quelque gain au détriment d'une autre par la force des armes.

 

La guérilla entretenue par le Hezbollah nous rappelle (et c'est peut-être son but) que la région est toujours en conflit, qu'il n'y a toujours pas de solution en vue pour des millions de réfugiés vivant dans la misère.

Mme Condoleeza Rice insistait très justement au sommet de Rome sur le besoin d'une paix durable. Les Etats-Unis insistent sur le rôle de la Syrie et de l'Iran dans ce conflit. Juste. Pourquoi n'a-t-on pas invité ces deux pays à la conférence ? N'oublie-t-on pas de rappeler qu'Israël et la Syrie sont toujours officiellement en guerre, qu'Israël occupe depuis 1967 et a formellement annexé en 1981 une partie significative de son territoire, le plateau du Golan (cette annexion n'est pas reconnue par les Nations Unies) ?

 

La solution est sans doute bien là : la conclusion d'une paix avec toutes les parties régionales y compris, bien sûr, la recherche d'une solution juste pour le peuple palestinien. A montrer trop de compréhension pour la politique du « fait accompli » et l' «auto-défense » musclée du gouvernement israélien, la communauté internationale ne l'incite aucunement à accomplir les efforts et accepter les compromis nécessaires à une paix durable. Aujourd'hui, à nouveau, nous sommes au bord d'une extension régionale du conflit. N'en déplaise à Mme Condoleezza Rice ou Mr Ehud Olmert, une paix durable ne se construit pas en larguant des bombes. On ne construit pas une sécurité durable en insécurisant les voisins.

 

Et la Belgique dans tout cela ? La Belgique demande un cessez-le-feu immédiat. Sans plus et sans le crier trop fort. On regrette parfois les prises de position bouillonnantes et incisives du ministre Louis Michel. C'était au temps de la « diplomatie morale » de la Belgique. Certes c'était immodeste, mais il n'était pas inutile qu'un petit pays, dérisoire et impuissant mais qui le sait et en tire sa force, clame bien net ce qu'il estime être juste.

 

Pour un Liban durable exigeons haut et fort le cessez-le-feu immédiat, la levée du blocus, le retrait dans ses frontières de chaque partie et l'indemnisation des dommages causés. Faire supporter à chaque camp le prix de la réparation de ses destructions fera réfléchir les belligérants potentiels à deux fois et les incitera sans doute à un peu d'équilibre et de retenue dans le recours à la force. Ce ne serait finalement qu'une simple extrapolation du principe de « pollueur-payeur ».

 

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Texte de Martin WILLEMS, Pierre OZER et Dominique PERRIN,

soumis au quotidien Le Soir (Belgique), le 7 août 2006.

 

 

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08/08/2006
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