Quand le politique cultive la science de l'inconscience [15e jour du mois - Mensuel de l'Université de Liège]
Le 25 novembre dernier, notre Université recevait Sir John Houghton, professeur de physique atmosphérique à l'université d'Oxford, spécialiste des changements climatiques. Celui-ci se voyait attribuer le prix Albert Einstein décerné par le prestigieux Conseil culturel mondial. Avant la cérémonie officielle, John Houghton a tenu à faire un exposé "à destination des étudiants et des jeunes chercheurs" dans l'amphithéâtre principal de l'Institut de géographie, trop petit pour l'occasion. Une occasion extraordinaire de boire les paroles de cette brillante référence qui, pendant près de 15 ans, a coprésidé le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec).
Avec passion, il nous a longuement retracé son parcours et expliqué comment les développements fulgurants de la télédétection et des systèmes de traitement de l'information ont bouleversé la science climatique durant ces 40 dernières années. Il a démontré comment une multitude d'incertitudes avaient ainsi pu être levées, tout en soulignant qu'il restait beaucoup de travail pour affiner divers scenarii climatiques. Il a montré combien l'enjeu était planétaire et illustré comment certaines régions allaient souffrir plus que d'autres de ces modifications en cours et à venir, notamment à cause de leur faible faculté d'adaptation à ces changements. Il a finalement lourdement insisté sur l'importance de stabiliser les émissions de gaz à effet de serre (GES) d'ici 2015 et de les réduire drastiquement d'ici 2050 afin de ne pas dépasser la barre de 2°C d'augmentation de la température globale, limite au-delà de laquelle le réchauffement pourrait s'autoalimenter et ses effets devenir ingérables.
Je lui ai alors posé la question suivante, en faisant référence au sommet de Copenhague : « A quoi servent toutes ces innovations technologiques qui, à leur tour, permettent des avancées scientifiques extraordinaires, si le politique ne prend pas action ? » Quelque peu surpris, il a répondu que la majeure partie des nations était maintenant conscientisée par rapport à l'urgence climatique mais que la clef des négociations était dans les mains des Etats-Unis. Et qu'il avait de grands espoirs que ces derniers soient proactifs.
Le 14 décembre, le sommet de Copenhague entamait sa seconde semaine de négociations. Coup de théâtre, les pays les plus vulnérables (africains et les petits Etats insulaires notamment) menacent de se retirer du processus, estimant être systématiquement tenus à l'écart de l'appareil décisionnel. Une majorité de nations se dégage et réclame un objectif d'augmentation de la température globale de 1,5°C, plutôt que 2°C. Ils soulignent également la responsabilité historique des pays développés par rapport à cette problématique. Ces pays reviendront ensuite à la table des négociations.
"De Hopenhague à Flopenhague"
Le 18 décembre, plus de 100 chefs d'Etat ont fait le déplacement. Après douze jours de négociations, personne n'a lâché quoi que ce soit. Tout le monde campe sur ses positions annoncées des mois auparavant. Le ton se durcit en plénière. A 22h30, je reçois un sms d'un baroudeur européen des négociations sur le climat : « Lutte finale. Nous avons envie de vomir. Cynisme complet. C'est la merde... » En effet, on apprend, par voie de presse, dans l'enceinte du Bella Center que quelques chefs d'Etat - à savoir les européens et américains pour le monde industrialisé - et la Chine, l'Inde, le Brésil et l'Afrique du Sud pour les pays émergents ont doublé le processus des Nations Unies (dans l'obscurantisme le plus total et sans concertation avec les pays en développement) pour arriver à une note de moins de deux pages*. Ce texte ne comporte plus de trace d'engagement de réduction de GES pour 2020 ou 2050, pas même volontaire. Une aide financière sera dégagée pour aider les pays pauvres à faire face aux conséquences du changement climatique. Cette aide sera-t-elle additionnelle ou détournée des fonds d'aide au développement ? De qui viendra-t-elle et à qui profitera-t-elle ? Et pour quoi faire ? Nul ne le sait. Quant à la réduction de la déforestation et aux contraintes d'émissions de GES pour les secteurs aérien et maritime (annoncés comme des conditions sine qua non d'accord par les européens), pas un mot... Autant dire que le résultat final de ce grand rendez-vous n'est guère étincelant...
Je n'ai pas eu la chance de revoir John Houghton depuis ce désormais "Hopenhague" devenu "Flopenhague" et je ne sais pas s'il partage mon questionnement : « A quoi sert la science, si le politique se borne à cultiver, pour des raisons économiques dans le court terme, la science de l'inconscience ? » Il est sans doute profondément déçu. Mais, indubitablement, lui et la nouvelle génération de chercheurs continueront le "combat" qui passe, nous le savons tous, par un approfondissement de nos connaissances sur la science climatique.
Une chose est maintenant certaine, les négociations se prolongeront en 2010 à Bonn puis à Mexico. La seule salve d'applaudissements qui a retenti au Bella Center de Copenhague le 19 décembre est à mettre à l'actif de l'intervention du délégué sud-africain qui demandait à veiller à ce que les dates de la prochaine réunion climat (Bonn) ne se télescopent pas avec le Mondial 2010 de football dans son pays. Comme quoi, il est toujours possible de mettre tout le monde d'accord sur des enjeux importants...
Pierre Ozer
département des sciences et gestion de l'environnement
* En ce 22 décembre, il est toujours impossible de dire qui a rédigé ce document.
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