PIERRE OZER

PIERRE OZER

Reconstruire la ville sur la ville

Article paru dans Le Soir, 20 novembre 2009, p.18.

Une version pdf de cet article est disponible librement ici: http://hdl.handle.net/2268/28640  (une fois ouverte, allez au bas de la page et cliquez à droite sur l'onglet "Voir/Ouvrir". Acceptez la licence et le fichier pdf s'ouvrira automatiquement)

 

 

Nous vivons une époque formidable ! Notre planète, cernée par des centaines de satellites d’observation de la Terre, est sous monitoring constant. Le développement extraordinaire des technologies de traitement de l’information nous permet de suivre, en direct, l’évolution de l’état de santé de l’environnement de notre village planétaire. Et, dans le domaine des constats, il n’y a plus de place au doute. Ainsi, nous savons que la biodiversité disparaît ici et ailleurs. Nous savons que les forêts, essentiellement dans les pays en développement, se contractent inexorablement. Nous savons que le réchauffement du système climatique est sans équivoque et que son origine anthropique est établie. Nous savons aussi qu’il va fragiliser nos économies en impactant les ressources en eau, les écosystèmes, les zones littorales, la souveraineté alimentaire de larges régions, la santé publique, et les plus vulnérables d’entre nous en accroissant les inégalités sociales ici et ailleurs (réfugiés climatiques) en fonction du degré d’adaptation à ces nouvelles contraintes inéluctables.

 

Dans le même temps, tous les experts s’accordent également sur un point : les prix pétroliers sont actuellement ridiculement bas et le baril de pétrole à plus de 150 US$, comme ce fut le cas en juillet 2008 de manière conjoncturelle, deviendra la norme à moyen terme. Cet accroissement du prix de l’or noir entraînera une inflation du prix de toutes les énergies. Dans cette perspective, les observateurs estiment que le coût croissant des transports conduira à des relocalisations de nombreuses activités, dont l’agriculture.

 

Il n’y a donc plus de doute possible sur les tendances passées, actuelles et à venir. Par contre, l’indécision et la peur d’initier des changements « radicaux » persistent lorsque nous devons orienter des politiques qui permettront à nos sociétés d’une part d’atténuer les pressions environnementales (avec ses effets rétroactifs) et, d’autre part, de nous adapter au mieux aux multiples contraintes structurelles en cours et à venir.

 

Ainsi, un exemple parmi tant d’autres nous vient d’Horion-Hozémont, petit village à vocation agricole de la commune de Grâce-Hollogne en région liégeoise. Dans les années à venir, ce patelin de 700 habitants devrait accueillir 300 nouveaux logements sur trente hectares de terres agricoles extrêmement fertiles, puisque nous sommes en Hesbaye. L’objectif y est donc de faire sortir de terre des « lotissements très aérés », comprenez des villas « quatre façades ».

 

Autour de ce nouveau Plan Communal d’Aménagement, les craintes des habitants se cristallisent sur la perte d’identité du village, qui serait de la sorte transformé en cité-dortoir, ainsi que sur une potentielle dégradation de la qualité de vie. Si ces inquiétudes locales sont compréhensibles, ce cas particulier soulève d’autres questions globales. En effet, dans une société qui se doit d’être toujours plus performante du point de vue énergétique dans une économie « pauvre en carbone », ces nouveaux lotissements tragiquement individuels en zone rurale ont-ils encore un sens ?

 

Car, dans le cas d’Horion-Hozémont, il ne s’agit pas uniquement de la construction de 300 logements, mais également d’installer des routes, un réseau d’égouttage, des infrastructures pour acheminer eau, électricité et téléphone, qui représentent un coût sociétal additionnel lors de la mise en place, de la gestion et de l’entretien. Puis, il y a les aspects de la vie quotidienne comme l’allongement des tournées des facteurs ou du ramassage des ordures, sans oublier la mobilité individuelle… Tout nouvel habitant dans ces zones rurales n’est-il pas totalement esclave de son propre véhicule ? Bien sûr que oui. Pourrait-on imaginer la mise en place de transports en commun performants et économiquement rentables avec une zone de chalandise aussi limitée ? Bien sûr que non. La dispersion des logements est bel et bien indissociable de la croissance de la mobilité individuelle. Or, l’urbanisation constitue une occupation des sols quasi irréversible.

 

Alors que la question de l’alternative à la voiture particulière est centrale et que des changements individuels ne seront possibles que si d’autres options peuvent être mises en place, pouvons-nous encore accepter de telles politiques antagonistes ? Car les « Horion-Hozémont » sont très nombreux en Région wallonne. Ainsi, de 1986 à 2004, pas moins de 21600 hectares de nouveaux lotissements s’y sont installés, soit une augmentation de 26,5% des zones bâties le plus souvent au détriment de terres agricoles…[1]

 

Si nous voulons réussir le pari du nécessaire changement en évitant les écueils très douloureux, il faut accepter une reformulation de certains leviers politiques, dont l’aménagement du territoire qui est un outil extraordinaire. Aussi, avant de détourner des terres agricoles de leur vocation première, il est nécessaire de reconstruire la ville sur la ville, ce qui –à terme– est sans aucun doute la meilleure option. Ne serait-ce que pour atteindre les objectifs de réductions minimums des émissions des gaz à effet de serre auxquels l’Union européenne s’est engagée d’ici à 2020 à Copenhague, à savoir -20% (voire -30%) par rapport à 1990.

 

Pierre Ozer



[1] Etat de l’Environnement Wallon 2006-2007. http://environnement.wallonie.be



21/11/2009
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