PIERRE OZER

PIERRE OZER

Une bouteille dans le désert [La Libre Belgique, 18/9/2010]

Les Nations unies ont récemment lancé la “Décennie de la lutte contre la désertification”. Mais sur le terrain, peu de choses bougent.

 

L’annonce est passée relativement inaperçue, mais le 16 août dernier, les Nations unies ont très officiellement donné le signal de départ de la "Décennie des déserts et de la lutte contre la désertification". Une initiative qui vise à renforcer la prise de conscience et les actions de la communauté internationale pour améliorer la protection et la gestion des terres arides de la planète. De quoi peut-être doper un processus entamé dans les années 90 (lire "Repères"), mais qui paraît quelque peu ensablé.

Tout en évoquant les préoccupations grandissantes qui se sont manifestées ces dernières décennies face à l’accroissement du phénomène, l’Onu estime toutefois que les perspectives d’avenir ne sont pas pour autant catastrophiques dans la mesure où de nombreuses initiatives ont été entreprises pour renverser la vapeur. Des actions qui ont, selon elle, donné des résultats positifs, mais qui doivent être intensifiées.

Un discours que ne partage pas vraiment Pierre Ozer, spécialiste de ce sujet à l’Université de Liège et qui représentait notre pays en tant que conseiller scientifique lors de la dernière conférence de "Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification". " Il existe beaucoup de rapports internationaux, beaucoup de politiques sur papier ", estime-t-il, "mais qui ne se traduisent pas concrètement par des efforts à grande échelle ". Et de souligner au passage le grand clivage qui existe entre pays du Nord et pays du Sud dans la perception de ce problème; ces derniers se montrant beaucoup plus critiques sur les progrès qui auraient été engrangés

Avec ses étudiants du département des Sciences et Gestion de l’environnement, M. Ozer a passé en revue toutes les études scientifiques sur la désertification publiées ces dix dernières années, soit plus de 500 articles. Il ressort de ce travail que 70 % des études affirment que le désert avance; 10 % qu’il recule et 20 % qu’il stagne.

" On observe toutefois certaines variations notables", remarque notre interlocuteur. " Ainsi, c’est en Chine que l’on retrouve le plus d’études montrant un recul du désert. Cela s’explique par les mesures draconiennes en la matière décidées par le régime chinois sous formes de programmes de reboisement ou de gestion du cheptel." A l’inverse, ces publications témoignent d’une tendance à la progression dans des régions d’Afrique et d’Amérique latine, malgré un retour récent des précipitations à un niveau presque normal. La situation est donc plutôt contrastée.

Les processus de désertification trouvent leur origine dans une conjonction de causes. Les variations climatiques naturelles, d’une part, et les facteurs anthropiques, d’autre part, qui divergent d’une région à l’autre. La dégradation des terres peut être liée au surpâturage par le bétail ou au contraire à une salinisation qui découle d’une mauvaise gestion de l’irrigation des cultures; au déboisement; à une augmentation de la population dans des zones déjà fragilisées qui entraîne une demande accrue en ressources hydriques et une surexploitation des terres La lutte est donc rendue d’autant plus difficile qu’il existe toute une gamme de causes potentielles. Et les changements climatiques en cours pourraient entraîner une dégradation de la situation.

Pour éviter ce scénario, le plus efficace reste encore les mesures de prévention car la restauration des zones désertifiées est coûteuse et donne des résultats partiels. L’agroforesterie (qui consiste à marier des parcelles de cultures vivrières avec des plantations d’arbres) est une solution efficace, mais il faudrait qu’elle soit développée à grande échelle. Ce qui n’est pas simple dans des pays pauvres où les diplômés en agronomie sont peu nombreux et les moyens financiers pour mener à bien de telles politiques manquent. Sans parler de certains obstacles culturels : il n’est pas toujours évident de changer des pratiques qui se transmettent de génération en génération depuis des siècles.

Quant au reboisement, on en parle beaucoup, mais il est essentiellement mené à des échelles locales, juge Pierre Ozer en rapportant cette anecdote : "Lors des "Journées de l’arbre" qui ont été organisées en Afrique, les plants étaient boulottés par les chèvres dans les 24 heures, faute d’un réel suivi " Et certains projets, tel celui de "La Grande Muraille verte" porté par le président sénégalais Abdoulaye Wade, laissent de nombreux observateurs sceptiques.

Dans les faits, beaucoup de gouvernements sont dépassés par l’ampleur du phénomène de désertification qui n’est pourtant pas, selon notre expert, une fatalité. "Quand on met sur pied un ensemble de mesures et, surtout, quand on organise un suivi dans le temps, cela porte ses fruits."

 

 

Le Sahel reverdit-il?

Ces dernières années, la tendance au "reverdissement" des régions sahéliennes est régulièrement évoquée dans la presse. Pierre Ozer se montre, pour sa part, plutôt circonspect à l’égard de ces affirmations. "Celles-ci, explique-t-il, se basent sur des données satellites à très basse résolution. Peu précises, donc." Et de poursuivre son analyse : "Les mesures sur lesquelles reposent ces conclusions débutent au début des années 80. Or, il faut savoir qu’après la sécheresse qui a ravagé la région dans les années 70, le Sahel a connu une autre vague de sécheresse entre 1981 et 1987, avant que les précipitations repartent nettement à la hausse dans les années 1990 et 2000. Ce qui a eu pour conséquence de fortement stimuler la végétation alors que l’on partait d’un niveau de production végétale extrêmement faible après des années de disette hydrique." Partant d’un seuil de référence très bas, la progression enregistrée est donc forcément spectaculaire. Autre critique avancée : le caractère uniquement quantitatif de ces données.

"La végétation en question se compose essentiellement d’essences invasives qui sont toxiques pour le bétail. Et elles ne peuvent même pas servir de bois de chauffe dans la mesure où elles présentent un faible potentiel calorifique. Elles n’apportent donc aucun bénéfice aux populations locales." Celles-ci ne partagent d’ailleurs pas vraiment l’enthousiasme des agences internationales qui mettent en avant cette évolution censée illustrer l’efficacité de leur action, observe-t-il encore.

La phrase:

"Les forêts précèdent les peuples, les déserts les suivent", Chateaubriand

 

Gilles Toussaint, La Libre Belgique, 18/09/2010, pp. 2 et 3.

 

 



20/09/2010
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