PIERRE OZER

PIERRE OZER

Vague de froid sur la Conférence de Cancun ? [La Libre Belgique]

Vague de froid sur la Conférence de Cancun ?

 

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Rappel. En 2010, il est possible de diminuer, de différer ou d’éviter de nombreux effets négatifs du changement climatique grâce aux mesures d’atténuation, à savoir la mise en œuvre de politiques destinées à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) et à renforcer les puits de CO2 que constituent les écosystèmes terrestres. Les efforts et les investissements qui seront réalisés dans les vingt prochaines années auront une incidence notable sur la possibilité de stabiliser les concentrations de GES à un niveau relativement bas. Tout retard pris dans la réduction des émissions amenuisera sensiblement cette possibilité et accentuera les risques d’aggravation des effets du changement climatique. Pour espérer limiter l’augmentation des températures de +2,0 à +2,4°C d’ici à 2100 par rapport à l’époque préindustrielle, il faut stabiliser de manière structurelle les émissions de CO2 à l’horizon 2015, puis les diminuer globalement de -55 à -90% en 2050 par rapport à 1990. Si rien n’est fait, l’augmentation des températures par rapport à l’époque préindustrielle pourrait être de +4,9 à +6,1°C d’ici à 2100.[1]

Entre 2000 et 2008, l’augmentation moyenne annuelle des émissions globales de CO2 a été de 3,4%, une croissance supérieure aux scénarii les plus pessimistes.[2]

Actuellement les pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), soit 18% de la population mondiale, sont responsables de 45% des émissions de CO2 liées à l’utilisation des combustibles fossiles.[3] Et la part cumulée des émissions globales de CO2 dans le temps de l’Union Européenne et des Etats-Unis (12% de la population mondiale) est de 51% ! La responsabilité historique de ces pays apparaît d’autant plus grande que la Chine et l’Inde (37% de la population mondiale), « pollueurs » tant décriés, ne sont pour historiquement responsables que de 12% des émissions globales de CO2.[4] Les contrastes sont encore plus saisissants avec les pays en développement qui vont pourtant souffrir plus que d'autres de ces modifications climatiques, notamment à cause de leur faible faculté d'adaptation à ces changements.[5] Ces derniers réclament donc fort logiquement une « justice climatique ».

Nous avions fondé beaucoup d’espoir sur la conférence de Copenhague en décembre 2009. La 15ème Conférence des Parties (COP 15) de la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique qui se tenait dans la capitale du Danemark n’a malheureusement pas répondu aux attentes de nombreux observateurs, dont les scientifiques. Nous aurions souhaité l’adoption d’un vrai accord mondial sur la lutte contre le changement climatique qui aurait succédé à l’actuel Protocole de Kyoto. L’accord idéal aurait comporté des engagements des pays industrialisés pour réduire collectivement leurs émissions de GES de -30% d’ici 2020 par rapport à 1990. Un accord qui aurait formalisé la mobilisation de fonds financiers pour assurer l’aide à l’adaptation des pays les moins développés. Il aurait aussi compris des objectifs volontaires de réduction des émissions de GES pour les pays à économies émergentes (Chine, Inde, Brésil, …), un mécanisme financier contre la déforestation et la dégradation des forêts tropicales (REDD+), etc. Au début de la COP 15, il y avait sur la table un texte de négociation de plusieurs centaines de pages qui comprenait toutes les options couvrant la totalité des besoins. Nous étions certes loin d’une unanimité mais la venue des chefs d’Etat aurait pu débloquer la situation si… si la volonté politique avait été à la hauteur des attentes...

Au final, la COP 15 a accouché d’un simple accord politique qui tient sur trois pages. Accord qui trouve son fondement non pas dans le texte de négociation initial mais dans l’initiative des Etats-Unis et de la Chine. Un texte aussi concentré ne peut contenir que des approximations reposant largement sur la bonne volonté de ses signataires. En tout état de cause, ce texte ne pouvait pas prendre en compte les éléments importants négociés âprement deux années durant. Le risque d’interprétations divergentes et de problèmes techniques est immense. Citons par exemple le fait que l’objectif des +2°C est présent mais sans faire référence à la période préindustrielle, qu’aucun objectif de réduction des émissions de GES sur les moyen et long termes n’est présent (ni au niveau mondial, ni au niveau des pays industrialisés), sur l’absence d’objectif pour réduire la déforestation, etc. En l’absence de consensus mondial sur ledit « accord de Copenhague », la COP 15 a littéralement « pris note » de ce « faire-part » qui est assorti d’une liste de pays qui le soutiennent. En d’autres termes, cet accord n’a absolument aucune valeur juridique et a fortiori aucun caractère contraignant. Le seul mérite de cette « déclaration politique » est d’avoir forcé d’une part les USA à exprimer clairement la nécessité d’une réduction des émissions de GES et, d’autre part, la reconnaissance explicite par la Chine de la nécessité d’une action mondiale de lutte contre le changement climatique.

La déception de l’après Copenhague a été à la hauteur des attentes : énorme. Pendant ce temps, les douze années les plus chaudes depuis 1850, date à laquelle ont débuté les relevés instrumentaux de la température à la surface du globe, ont été observées au cours des treize dernières années (1997-2009)[6] et l’année 2010 s’annonce comme étant la plus chaude jamais enregistrée (au coude-à-coude avec 1998).[7] Les événements climatiques extrêmes se font de plus en plus intenses et fréquents. Bref, la nature, ou plus exactement sa réponse aux excès de l’humanité, nous rappelle à l’ordre. On ne négocie pas avec la physique de l’atmosphère !

Les pourparlers internationaux ont repris au début 2010 avec pour objectif d’intégrer les quelques acquis de l’accord de Copenhague dans le texte initial de négociation. Une nouvelle échéance est fixée par la communauté internationale : la COP 16 de Cancun en décembre 2010. Les séances de négociations se sont poursuivies jusqu’à Tianjin, en Chine, ce mois d’octobre. Et les résultats de ces tractations n’incitent pas à l’optimisme. Les positions des trois grands pôles que sont les pays industrialisés, ceux à économie émergente et les moins développés se cristallisent. Nous n’aurons certainement pas de grand accord mondial à Cancun. Les conditions pour rétablir la confiance entre tous ces acteurs sont multiples : un engagement significatif et contraignant des Etats-Unis (et d’autres pays développés) par rapport à des mesures d’atténuation, la mise en œuvre concrète du financement du fonds d’adaptation aux conséquences du changement climatique dans les pays du Sud, l’ouverture de la Chine à l’adoption d’un accord juridiquement contraignant impliquant tous les pays, etc. Quant à l’Europe, ses 27 Etats membres ont de la peine à s’accorder sur les gestes forts qui pourraient contribuer à débloquer la situation. Bref, chacun attend l’autre pour avancer…

Finalement, que pouvons-nous espérer de Cancun ? L’expression « a balanced set of decisions » est d’usage. Nous devrions avoir des accords sur certains volets importants comme la lutte contre la déforestation, la prise en compte des puits de carbone dans la comptabilité globale des GES, la définition d’un système financier permettant la valorisation des fonds pour l’adaptation et quelques autres thèmes plus mineurs. Deux problèmes subsisteront certainement : l’absence d’un engagement ferme sur les réductions des émissions de GES et le manque de consensus sur la forme juridique du futur traité mondial (contraignant ou volontaire).

Devant la lenteur du processus multilatéral mondial, comment pouvons-nous nous positionner en tant que citoyen ? Tout d’abord, il ne faut pas oublier pourquoi l’on mène ce combat ! Les effets négatifs du changement climatique ne cessent de se cumuler, avec une accélération ces dernières années et un coût social et économique croissant pour nos sociétés interdépendantes. Toute mesure d’adaptation prise dès à présent rapporte à terme, avec ou sans incitants gouvernementaux. L’investissement dans l’isolation des bâtiments est un bel exemple : quelle serait votre facture énergétique sans le remplacement de vos vieux vitrages ? Il faut toutefois garder à l’œil « l’effet rebond » et veiller, par exemple à ne pas systématiquement réinvestir la somme ainsi économisée dans des voyages en avion, mais plutôt dans d’autres secteurs de l’économie « durable ». Nous avons tous du mobilier « low cost » qu’il faut remplacer tous les dix ans, mais nous avons également une vieille commode qui est toujours impeccable malgré ses déménagements successifs et qui se transmet de génération en génération. Son coût est peut-être plus élevé mais vos petits-enfants pourront la transmettre à leur progéniture. Lutter contre le réchauffement climatique, c’est consommer (et donc produire) moins, mieux et autrement : investir dans des choses qui ont du sens, donner de la valeur à des marchandises durables et à ceux qui les produisent. Profitons-en pour faire (re)vivre les artisans et les créateurs, pour soutenir les producteurs locaux de fruits et légumes, pour recréer de l’emploi local. Plus que jamais, c’est la multiplication des actions locales qui pourra influer sur cette problématique mondiale. Laissons derrière nous cette société « low-cost » et soyons acteurs et créateurs d’un autre monde !

 

 Paru dans La Libre Belgique, 24 novembre 2010, pp. 52-53.



[1] http://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar4/syr/ar4_syr_fr.pdf

[3] International Energy Agency, 2010. CO2 emissions from fuel combustion – Highlights 2010. IEA, Paris, France. 121 p.

[4] International Energy Agency, 2009. How the energy sector can deliver on a climate agreement in Copenhagen. IEA, Paris, France. 55 p.

[5] World Bank, 2010. The economics of adaptation to climate change. The World Bank Group, Washington DC, USA. 84 p.

[6] http://www.cru.uea.ac.uk/cru/info/warming/



24/11/2010
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