Votre assiette a fait le tour du monde
Haricots, carottes, asperges, oignons, agneau,... parcourent des milliers de kilomètres, par avion, avant d'atterrir dans nos assiettes. À quel prix ? Analyse.
On connaît l'exemple de ces crevettes grises pêchées en mer du Nord et qui reviennent «toujours fraîches» sur l'étal du poissonnier d'Ostende après un détour par le Maroc où elles ont été décortiquées. Le périple paraît absurde. Mais si on analyse son assiette, on verra que la plupart des produits que nous consommons couramment ont l'âme tout aussi voyageuse. Qu'ils ont parcouru parfois un demi-tour du monde, par avion, avant d'atterrir sur notre table. Consommation de pétrole, émissions de CO2: le bilan environnemental est désastreux.
Il ne faudrait pas croire que les tours opérateurs de l'alimentaire se contentent de faire voyager des curiosités au goût d'exotisme. Du kangourou d'Australie, de l'autruche d'Afrique du Sud, des ananas d'Amérique centrale ou des caramboles de Malaisie, que l'on va goûter une fois l'an. Non, on importe aussi, en quantité et en toutes saisons, du boeuf argentin et de l'agneau néo-zélandais. des poires de Corée, des pommes du Chili, des fraises d'Israël, des framboises des USA, des carottes d'Afrique du Sud, des asperges du Pérou ou des oignons de Tasmanie, même des choux de Bruxelles venant... du Guatemala. Tous produits qui ont leurs équivalents «bien de chez nous». Ou qui l'avaient. Car nos producteurs régionaux peinent à lutter contre ces importations à bas prix.
Jamais vu des haricots de Belgique au Carrefour
«Des filières locales entières ont été anéanties», explique Pierre Ozer, chercheur à l'Université de Liège qui milite, au sein du Collectif Avion Rouge, pour que la provenance et le mode de transport utilisé pour le transport des marchandises soit clairement étiqueté. Ses motivations sont d'abord écologiques et c'est en milliers de kilomètres et en kilos de CO2 qu'il a pris l'habitude de calculer le «coût» de ses repas.
«Depuis que j'ai commencé ce calcul, je n'ai encore jamais vu, par exemple, des haricots de Belgique au Carrefour», dit-il. «Ils sont surtout produits au Kenya. Des moules arrivent du Canada par avion. Les oignons, depuis la mi-avril, viennent de Tasmanie ou de Nouvelle-Zélande. Or, qu'y a-t-il de plus banal qu'un oignon! On a tendance à perdre le fil des saisons. Il n'y a quasiment plus de limites. Quand on sait qu'un litre de kérosène coûte moins cher qu'un litre d'eau...»
Jusqu'ici, l'origine exotique des produits était plutôt un argument vendeur. Mais les mentalités changent; une étiquette dénonçant le coût écologique du transport pourrait avoir un effet dissuasif. C'est l'espoir du collectif qui a lancé la pétition visant à rendre le logo «avion rouge» obligatoire. Encore faut-il que le consommateur y prête attention. Et puisse s'informer des provenances, pas toujours bien précisées. Autre exemple relevé par Pierre Ozer: «Ce week-end, on proposait au Delhaize des ananas et des mangues découpés sous emballage plastique. Origine:Belgique. Parce que c'est à Bruxelles qu'elles avaient été conditionnées.»
« Le coût du transport est dérisoire. Un litre de kérosène coûte moins cher qu'un litre d'eau en bouteille. » Pierre Ozer
La pétition « pour un étiquetage clair du mode de transport des marchandises intercontinentales» a été lancée le 30 janvier 2007 en Belgique. Où elle a déjà recueilli plus de 7000 signatures et attiré l'attention de la plupart des partis politiques (Écolo bien sûr, mais aussi le PS et le cdH) lors de la dernière campagne électorale. Des initiatives similaires sont nées en France, en Allemagne et en Angleterre. Revendication : imposer aux distributeurs l'application de logos indiquant clairement le mode de transport utilisé. Un avion rouge et un bateau bleu, par exemple. Car le coût énergétique - et en émission de CO2 - du transport aérien est 60 fois plus élevé que par voie maritime. Manière de lutter, chacun à son échelle, contre le réchauffement climatique, auquel de plus en plus de gens sont sensibles. Pour l'heure, ce logo ne concernerait que les produits alimentaires. «Quand on parle aux gens de choses qu'ils connaissent bien, comme ce qu'ils mangent, ça les fait réfléchir. C'est moins évident pour les pièces de rechange de leur machine à laver», justifie Pierre Ozer. Surtout, ce sont les marchandises les plus périssables qui, avec celles ayant la plus haute valeur ajoutée, voyagent davantage en avion. Le but de la pétition n'est pas d'empêcher de consommer des produits exotiques. Ni de fermer nos marchés aux producteurs des pays moins développés. Mais de faire prendre conscience de l'impact du moyen de transport utilisé. Bref, de faire acheter « responsable». Ceci dit, la gamme des produits qui font le tour du monde dépasse largement le cadre de nos frigos. Avec des exemples tout aussi choquants que celui de nos crevettes. On a beaucoup parlé, à
REPERES
10. Le coût financier du transport par avion (celui qu'intègre les entreprises) est dix fois supérieur à celui du transport par bateau. Le coût écologique est, lui, soixante fois plus élevé (à la tonne-kilomètre). Même si les trajets par bateau sont souvent beaucoup plus longs.
150 milliards de tonnes-kilomètres de marchandises ont été transportées par les airs en 2006. En 1960, le transport par avion ne concernait que 2 milliards de tonnes-kilomètres.
Bio. Attention, les produits biologiques ne voyages pas nécessairement moins que les autres. Au rayon bio, les poires peuvent venir d'Argentine et les pommes du Chili. Au même prix que si elles viennent de France !
En hiver, faire pousser des roses au soleil d'Ethiopie ou du Kenya est, écologiquement parlant, plus favorable que de les produire dans des serres éclairées et chauffées de Hollande, même si on tient compte du transport par avion. Ce n'est plus vrai en été. Il faut donc aussi tenir compte du moment où l'on achète les fleurs. Comme des saisons pour les fruits et les légumes.
La pétition Avion Rouge, et un tas d'informations, sont accessibles sur le site internet du collectif : http://avionrouge.blogspot.com/
Propos recueillis par Jean-Christophe Herminaire.
Paru dans L'Avenir, Le Jour et Le Courrier (Belgique), 7 août 2007, pp. 1, 2 et 3.
Pour avoir la version pdf de cet article, envoyez-moi un mail: pozer@ulg.ac.be
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